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16 décembre 2014 2 16 /12 /décembre /2014 07:45

Dans une tribune parue dans Libération du 2 décembre, Bernard Cazeneuve, Ministre de l’Intérieur, réaffirme la place du droit d’asile, comme «valeur fondamentale de la République ». Nous nous réjouissons de lire ce rappel sous la plume du ministre de tutelle de ce domaine. Monsieur Cazeneuve évoque ensuite deux carences de notre système : la lenteur des procédures et l’inadaptation de l’accueil, notamment en matière d’hébergement. Il développe enfin les trois objectifs auxquels le projet de loi qui sera discuté à compter du 9 décembre doit répondre :

  • - « réduire à 9 mois la durée moyenne d’examen » contre 24 mois actuellement

  • - améliorer l’accueil et l’hébergement

  • - renforcer les droits des demandeurs d’asile

    Trois objectifs qui dans leur énoncé ne peuvent que faire consensus auprès des défenseurs d’un droit d’asile fort, garant de notre État de droit.

    Qu’en est-il dans les dispositions du projet de loi ?

- réduire les délais moyen d’examen
Le temps devient dans notre société une richesse, il faut aller toujours plus vite pour être toujours plus rentable. « L'accélération du temps est d'ailleurs un modèle de la participation à l'hypermodernité du monde et, lorsque tout s'emballe, l'on peut penser que notre capacité à la décélération devient vitale. » comme l'écrit Michel Agier1. Il n’est pas souhaitable que les procédures d’asile s’éternisent, car le temps d’attente est, comme le soulignait Monsieur Cazeneuve, un temps d’inquiétude. Pour autant, le temps nécessaire doit être laissé aux demandeurs pour pouvoir dire ce qui souvent est innommable. En cela, le temps de la parole ne peut pas faire l’économie du temps du soin et c’est la raison pour laquelle nous avons proposé un amendement permettant un réexamen des demandes d’asile rejetées dès lors que l’état de santé du demandeur ne lui permettait pas, à son arrivée, de raconter son histoire. De même, le temps de la pensée et de la collégialité doivent être laissé aux magistrats de la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) pour garantir un examen juste et respectueux des demandes d’asile. Pour respecter également le travail d'hommes et de femmes qui sont soumis chaque jour à l'écoute d'un nombre important de récits, écoute dont on ne peut sortir totalement indemne. Le projet de loi multiplie les audiences à juge unique, contre 3 juges actuellement. Cette mesure augmentera la « rentabilité » et diminuera peut-être les délais, mais cela sera au détriment du droit d’asile, et donc, pour reprendre les propos de M. Cazeneuve, au détriment de la République.

- Améliorer l’accueil et l’hébergement
Oui, l’inégalité actuelle entre les demandeurs d’asile hébergés en CADA (centre d’accueil des demandeurs d’asile) et ceux qui sont en foyer d’urgence ou à la rue n’est pas acceptable. Nous ne pouvons qu’approuver là encore la création de nouvelles places d’hébergement en CADA. Nous sommes plus sceptiques en

1 In La condition cosmopolite, Ed. La Découverte, 2013

revanche sur la mesure qui consiste à « assigner à résidence » dans une zone géographique des demandeurs d’asile, et à déléguer aux travailleurs sociaux des CADA le rôle de « contrôleur des libertés » de leurs locataires. Si l’un d’entre nous devait demain chercher asile dans un pays éloigné, il y a fort à parier qu’il prioriserait l’installation dans une métropole, parce que ce serait là ses seuls repères (qui peut aujourd’hui citer des villes moyennes d’Angola en plus de la capitale du pays ?), parce que la métropole offre des réseaux de solidarités associatives, des compatriotes, des facilités de transports pour se rendre aux convocations de l’OFPRA et de la CNDA, ou pour renouveler son titre de séjour, et que tout cela participe aussi de la reconstruction d’un homme ou d’une femme que l’on a cherché à détruire jusqu’à le/la contraindre à l’exil. Alors oui, il faut repenser le système d’accueil, mais un système d’accueil de qualité n’a pas besoin de la contrainte pour être accepté. Les travailleurs sociaux travaillent dans les foyers aux côtés des juristes et c’est la confiance ténue qui s’installe jour après jour qui va libérer la parole du demandeur d’asile. Faire du foyer le bras armé du contrôle administratif entache ce lien de confiance et nous fait courir le risque d’une parole tue, qui conduira peut- être à une décision de rejet, faute d’explications suffisantes. Rejeter à tort une demande d’asile, c’est renvoyer vers la torture, la mort, un homme ou une femme qui a déjà tout perdu pour sauver sa vie.

- Renforcer les droits des demandeurs d’asile
Renforcer les droits des demandeurs d’asile c’est affirmer dans la loi que « le droit d’asile c’est la république ». C’est affirmer et défendre l’idée que le temps et la rentabilité ne sauraient être les variables d’ajustement d’une politique d’asile digne de ce nom. C’est accorder un huis clos de plein droit pour les audiences devant la CNDA lorsque le demandeur le souhaite. C'est maintenir des audiences collégiales devant la CNDA. C’est rappeler enfin aux citoyens de France que si la France a enregistré 66000 demandes d’asile l’année dernière, seules 46000 étaient des premières demandes, et que cela ne représente que 0,7 demandeurs d’asile pour 1000 habitants. Forts de ce chiffre nous pouvons clamer que « le droit d’asile c’est la république » et que la République a et se donne les moyens d’un accueil digne, respectueux des demandeurs d’asile et de la présomption de légitimité qui doit entourer l’examen de leur demande.

Dr Valérie CADIOU, médecin, co-fondatrice de l’association PasserElles Buissonnières
Laure CHEBBAH-MALICET, Présidente de l’association PasserElles Buissonnières Françoise CROZAT, Psychologue

Me Delphine DELBES, Avocate au Barreau de Lyon
Me Marie-Noëlle FRERY, Avocate au Barreau de Lyon
Dr Jean FURTOS, psychiatre, fondateur et ancien directeur scientifique de l’ONSMP (Observatoire National des pratiques en Santé Mentale et Précarité)
Marion HUISSOUD-GACHET, juriste, co-fondatrice de l’association PasserElles Buissonnières
Joëlle SAUNIER, Présidente du réseau Tiberius Claudius pour la défense du droit des étrangers
Dr Georgette VICARD, médecin psychiatre

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