Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
2 mars 2016 3 02 /03 /mars /2016 21:48

Nous reproduisons ici l’intervention de Madame Michelle Zancarini-Fournel, historienne, lors de la conférence du 5 novembre 2015 - Mairie du 1er arrondissement de Lyon, organisée par la Cimade et le Collectif des Associations de défense des droits des étrangers

Il est nécessaire de casser l’image bienfaisante que la France veut donner d’elle-même comme patrie des droits de l’homme et du droit d’asile qui lui permet aujourd’hui d’être beaucoup plus frileuse et restrictive que l’Allemagne dans l’accueil des réfugiés. L’histoire le montre amplement depuis la Révolution française de 1789.

On peut distinguer cinq moments clés dans la figure contemporaine de l’étranger/ère et du/de la réfugié-e, les deux conditions et statuts étant inextricablement mêlés.

I - La Révolution française, de l’accueil universel à la suspicion générale

Les cahiers de doléances de 1789 font silence sur la présence d’étrangers qui semble aller de soi, à l’exception des Juifs où la question de leur statut est posée. La Révolution Française, ce moment initiateur de la culture républicaine, déclare un droit à l’universel. Quelle place va t-elle faire aux étrangers qui affluent sur son territoire en 1789 ? C’est à partir de leur statut que va être défini le droit de nationalité et de citoyenneté avec le principe : « Il n’ y a pas de frontière pour les amis de la liberté ». Certains étrangers obtiennent même en 1792 le droit de représenter le peuple français : c’est le cas de ceux qui se considèrent ambassadeurs du genre humain, l’anglo-américain Thomas Paine, le prussien de Cloots, et plus connu le Suisse Marat, devenus députés. La constitution du 24 juin 1793 affirme que « le peuple français donne asile aux étrangers bannis de la patrie pour la cause de la liberté. Il la refuse aux tyrans ». Mais la Convention en guerre considère quelques semaines plus tard que l’origine étrangère préjuge au contraire un danger pour la patrie.

Le projet de loi du 3 aout 1793 redéfinit un statut d’hospitalité, marqué pour les étrangers par le port obligatoire d’un brassard tricolore sur lequel ce terme est inscrit. 0n définit aussi des étrangers de l’intérieur : nomades, pauvres et contre-révolutionnaires considérés comme suspects. Sont exclus de la souveraineté, l’étranger national né hors de France, exclu de la souveraineté ( 6 nivôse an II/ 26 décembre 1793) et l’étranger politique né ou non en France, devenu un traitre (tel le roi Louis XVI considéré comme étranger). Le décret du 7 prairial an II (26 mai 1794) exclut également les Anglais devenus traîtres et étrangers à l’humanité (il ne sera pas fait de prisonniers anglais). Des comités de citoyens vérifient localement la situation et la loyauté des étrangers. L’ensemble des membres du peuple souverain ne jouit cependant pas des droits de citoyens. Les citoyens passifs, les femmes et les esclaves sont exclus du souverain et n’ont pas le droit de citoyenneté.

À la faveur de la guerre européenne de conquête sous le Directoire et l’Empire, des légions sont constituées avec des étrangers qui veulent défendre les acquis révolutionnaires. La plus célèbre est la légion polonaise formée de 2000 hommes venus après le troisième partage de la Pologne.

Dès la période révolutionnaire, après la déclaration universaliste des droits de l’homme, apparaît une oscillation entre l’accueil de « tous les amis de la liberté » à qui l’on accorde parfois la nationalité française, et, avec la guerre, leur rejet du fait des craintes que fait naître « le complot de l’étranger ». En 1804 parce que la naissance sur le sol paraît insuffisante pour garantir la fidélité d’enfants étrangers nés en France, le Code civil rejette ainsi le simple jus soli hérité de l’AR et institue le monopole de la transmission automatique de la condition de Français par la filiation, le jus sanguinis.

Le cas particulier des juifs

À la veille de la Révolution, les juifs représentent en France une petite minorité - au maximum quarante mille personnes - dont la présence n'est tolérée que dans les marches frontières. Dans un certain nombre de régions, des juifs sont installés depuis longtemps : dans les provinces et les villes de l'Est rattachées plus tardivement à la France (en particulier en Alsace : une population essentiellement rurale qui représente la moitié de la population juive de France.) Dans le Sud-Ouest, les "marranes" ayant fui l'Espagne ou le Portugal à la suite de la Reconquista (1492) sont surnommés « les Portugais ».

Dans le sud-est, des juifs habitent l’enclave des Papes, autour d’Avignon et du Comtat Venaissin, région rattachée à la France à la Révolution : c’est la seule communauté juive enracinée depuis des siècles sans interruption. Lors de la rédaction des cahiers de doléances, les juifs d’Alsace et de Lorraine ont le droit de présenter un mémoire et non un cahier : ils réclament la liberté de culte et l’égalité fiscale. 307 cahiers traitent du problème juif dans 33 bailliages ou districts. La question de l’émancipation est posée à la veille de la révolution. La Déclaration des Droits de l'Homme affirme que « tous les hommes naissent et demeurent égaux en droit » et que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses ».

Ce que les juifs obtiennent par les premières réformes de la Révolution c'est le droit de résidence dans n'importe quel point du royaume. Une première étape en faveur des juifs est franchie le 28 janvier 1790 quand l'Assemblée constituante accorde les droits de citoyen actif aux Juifs « connus sous le nom de Portugais, Espagnols et Avignonnais ». La majorité des députés des provinces de l'est continue à s'opposer à ce que les mêmes droits soient accordés aux Juifs de leurs régions, au nom de l'ordre public. Jamais selon eux, le calme ne règnerait en Alsace si les Juifs étaient admis au rang de citoyen actif. À la veille de se séparer, l'Assemblée constituante finit par voter le 27 septembre 1791 l'abolition de toute discrimination concernant les juifs. Ce décret s'applique à tous les résidents en France, sans exception : Le terme de "Nation juive" est définitivement banni ; les structures communautaires doivent disparaître. 1 le principe est « Il faut tout refuser aux Juifs comme Nation et tout leur accorder comme individus ».

Les juifs ont participé avec enthousiasme au mouvement populaire des années révolutionnaires. Mais la déchristianisation de 1793 paralyse aussi le culte juif. Cependant pour les communautés juives des régions d'Outre-Rhin et d'Italie où pénètrent les armées de la République à partir de 1795 c’est l'heure de la liberté. Les murs du ghetto de Rome sont mis à terre ; des arbres de la Liberté sont plantés en Allemagne. En dépit des tensions et des conflits, le principe de l'émancipation des Juifs n'est pas remis en question ; leur statut est pérennisé dans la constitution de l'an III (1795) sans débat.

Les décrets napoléoniens de 1808

Les deux premiers décrets réglementent le culte. Le gouvernement calque l’organisation et le rôle des rabbins sur celui des prêtres ou des pasteurs. On impose aux juifs une organisation : un Consistoire Central avec son grand rabbin à Paris et deux laïcs, plus un consistoire composé d’un rabbin plus trois laïcs dans chaque département. En rupture complète avec les structures communautaires d'avant la Révolution, l'organisation consistoriale est imposée de l’extérieur. Mariages, enterrements, sermons sont célébrés à la synagogue.

Des familles juives peuvent alors s'établir dans les grandes villes Lyon, Marseille, Toulouse. L'évolution se fait très lentement et les bénéfices de la liberté professionnelle ne seront visibles qu'après 1830. Mais dès les années 1795, l'idéalisme révolutionnaire auquel s'ajoutent les exigences de la conscription napoléonienne, pousse les Juifs dans la carrière militaire. Un certain nombre d’entre eux entre dans les écoles supérieures militaires. Beaucoup, recrutés comme simples soldats, gravissent rapidement les échelons et accèdent au rang d'officiers. La convocation de l'Assemblée des Notables, puis celle du Sanhédrin, est, pour Napoléon, l'occasion de jauger la vraie nature de l'attachement des Juifs à la France et des chances de réussir leur intégration au sein de la nation française, ce qui n’empêche pas de leur faire subir des discriminations.

II- la naissance de la figure du travailleur immigré et la loi de 1889 sur la nationalité

Dans le premier XIXe siècle l'accueil des étrangers concerne un petit nombre – autour de 20 000 au milieu du siècle (réfugiés subventionnés en 1837 : 5282 Polonais, 870 Espagnols, 568 Italiens, 14 Allemands) poursuivis pour des raisons politiques dans leur pays et qui viennent chercher la liberté de penser, d’agir et de créer. En 1832 la Chambre s ‘interroge sur la distinction qui existe entre réfugié et étranger. Mais il y a aussi des étrangers pour faire des affaires ou développer des fabriques dans le textile, la métallurgie, et aussi des ouvriers qualifiés, ce qu’on appelle « l’aristocratie ouvrière », qui apportent leur savoir-faire ( Allemands, Anglais ou Suisses).

On compte les étrangers pour la première fois au recensement de 1851 et ils ont 350 000, 800 000 en 1876, 1 million en 1881, soit 3% de la population française.

Au milieu du XIXe, les Belges sont les plus nombreux et le restent jusqu’en 1901. Puis viennent les Italiens vers (en réalité d’abord les Piémontais pour la construction des chemins de fer), puis dans divers métiers surtout du bâtiment et les Piémontaises dans l’industrie de la soie. Ils représentent un quart de la population de Marseille au début du XXe siècle. Les garçons à partir de 11 ans sont employés dans les verreries du bassin de Rive-de-Gier. Tous font des aller retour incessants entre pays de départ et pays d’accueil : en 1911 400 000 Italiens sont présents, mais 1,8 millions sont venus pour les besoins du marché du travail, mais aussi par le biais des des fratries et cousinages, développant des solidarités familiales et collectives. Les réseaux familiaux, communautés de compatriotes regroupés par quartiers ou ilots, représentent un sas d’acclimatation qui permet de ne pas rompre avec le pays natal. Il y a aussi des sous-entrepreneurs qui organisent à leur profit la venue de groupes de travailleurs.

La patrie humiliée après la guerre de 1870 et la défaite provoquent une haine et un mépris de l’étranger : haine du Prussien d’abord, mais aussi – séculaire – de l’Anglais ; et aussi des Italiens paresseux, malhonnêtes etc. Le journal des Guesdistes, ancêtre du parti socialiste, Le Cri du peuple, qualifie les Italiens surnommés les « Christos » de « tristes brutes aveuglées de catholicisme ». Une xénophobie galopante gagne tous les milieux y compris envers ceux considérés comme les ennemis de l ‘intérieur, les Juifs « cosmopolites et apatrides ».

Les juifs, émancipés depuis 1791 avec la révolution française, acculturés, patriotes, doivent face faire à la fin du XIXe au regain de l’antijudaïsme (religieux) devenu antisémitisme (racial) dans le contexte de l'ébranlement du monde rural et catholique et la résistance du monde traditionnel au développement industriel, de l'établissement difficile de la république laïque contre les forces sociales liées à l’Église catholique, des doctrines socialistes combattant le capitalisme et l’argent, la dynastie Rothschild incarnant la finance internationale, de la force des nationalismes européens et de l'invention prétendument « scientifique » des races.

Le Krach de l’Union générale en 1882 est attribué à la finance juive. Édouard Drumont fait la synthèse du courant socialiste et du courant catholique dans La France juive (2900 pages, six volumes entre 1886 et 1892; le chapitre 6 associe francs-maçons, protestants et juifs) et dans son quotidien La libre parole (200 000 exemplaires). Les campagnes antisémites publiques commencent à La Croix (journal catholique) à partir de 1886, et se développent à partir de 1889 avec l’Affaire Dreyfus. Elles entretiennent les fantasmes du juif allemand et du juif anglais, d’une « bande de juifs et de francs-maçons venus de l’étranger ».

L'hostilité du monde ouvrier vis à vis des étrangers est ancienne, fondée sur la concurrence dans le travail : elle apparaît dès la fin de l’Empire dans le textile, mais surtout en 1848 avec la crise et la contraction de l’emploi contre les Belges dans le nord, et aussi à Paris. Elle redouble avec la grande dépression entre 1873 et 1896. En témoignent, par exemple les émeutes d'Aigues-Mortes contre les Italiens qui font neuf morts officiellement et de nombreux blessés en 1893 et de la Mure en 1901 (la mairie socialiste et le syndicat avaient demandé le remplacement des italiens par les grévistes de Montceau-les-Mines : « chasse aux ours » (surnom des Italiens), maisons brûlées,..

C'est dans le contexte de La nationalisation en profondeur de la société française, et de l'intervention massive de l’État dans la vie économique et sociale, qu'a lieu la discussion d’une loi sur la nationalité, pour pallier le déficit démographique. La loi de 1889 traduit la nécessité de renoncer au jus sanguinis et de revenir au jus soli, position soutenue par le grand patronat (besoin de main d ‘œuvre), les élus des régions ouvrières (contre la concurrence étrangère) et les militaires (pour reconstruire une armée puissante). La loi prévoit une naturalisation à deux vitesses (pas d’éligibilité pendant dix ans). Pour protéger le marché national, toutes les lois sociales de la Troisième République sont réservées aux nationaux et plusieurs professions sont interdites aux étrangers ou établissent des quotas. La loi de 1889 peut être considérée comme un tournant : elle institutionnalise le droit républicain en instaurant le droit du sol. Elle est accompagnée de procédures policières d’identification nationale avec des fiches individuelles liées à l’anthropologie physique (Bertillon et ses photographies de face et de profil avec caractéristiques physiques, « le bertillonnage ») accompagnées des empreintes digitales.

La guerre de 1914-1918 achève le processus de nationalisation de la société française. Les émigrés venant de pays ennemis sont parqués dans des « camps de concentration », y compris les Alsaciens-lorrains du sud de l’Alsace libéré dès septembre 1914 et les femmes mariées à un étranger. Après le certificat d’immatriculation des étrangers en mairie en 1893, le carnet anthropométrique pour les nomades et tsiganes en 1912, la carte d’identité pour les étrangers devient obligatoire à partir du décret du 2 avril 1917.

III –Le cosmopolitisme de l’entre deux guerres : droit d’asile et statut de réfugié

Dans une France à reconstruire, démographiquement affaiblie par les nombreux morts de la Grande guerre, l’immigration s’avère plus que jamais nécessaire. L’État prend en charge le recrutement collectif avant de le partager avec le secteur privé. Les compagnies charbonnières et maîtres de forges créent en 1924 la Société Générale d'Immigration (missions dans les pays fournisseurs de main d’œuvre; installation dans des camps de transit au départ et acheminement vers les régions industrielles). Les entrées passent aussi par des filières individuelles et clandestines, les pouvoirs publics régularisant après-coup. En revanche, l’État continue à assurer seul la surveillance des étrangers. Dans le même temps, arrivent des exilés et des réfugiés : certains bénéficient d’un statut adopté par la Société des Nations (SDN) qui offre une garantie à certaines minorités nationales, mais tergiverse sur le cas des Arméniens (génocide en Turquie à partir de 1915) entre 1920 et 1923.

En 1931, la France compte 2,9 millions d’étrangers (soit 7% de la population) : elle est le premier pays d’immigration au monde avant les États-Unis.

Le parti communiste français pousse à l’intégration des étrangers avec les groupes de langues, y compris avec le syndicat CGTU (Italiens en Lorraine, Polonais dans le nord) mais pas partout : en septembre 1924 les dockers du syndicat unitaire marseillais hurlent « les bicots à La Joliette ».

On observe un recul en 1928-1930 après les premiers effets de la crise. La France rend obligatoire une carte de travail pour étrangers. Les gouvernements étrangers surveillent leurs ressortissants (en particulier Mussolini et son gouvernement fasciste depuis 1925 qui utilise les associations culturelles ; On note des tentations séparatistes chez les Arméniens mal accueillis dans le sud-est.

Refugiés politiques

L'ampleur du nombre de réfugiés caractérise les années qui suivent la Première Guerre mondiale (deux millions de Russes déchus de leur nationalité après la révolution de 1917, les antifascistes italiens et les juifs allemands et autrichiens à partir de 1933).

Depuis 1921, et grâce notamment à l'action du Norvégien Fritjhof Nansen, des hauts commissariats de la Société des nations se spécialisent dans accueil de groupes de réfugiés d’origine bien déterminée - russe puis arménienne avec le « passeport Nansen ». Puis, parce qu’il devient évident que les réfugiés ne pourront pas rentrer chez eux, se pose la question du droit d’asile. La convention de Genève de 1933 (modèle pour les conventions ultérieures) est la première étape de la définition du réfugié « une personne qui ne jouit plus de la protection de son pays », définition fondée non sur la nationalité mais sur l’origine nationale, mais elle repose encore sur l’énumération de groupes bien définis.

Avec la crise des années 1930, revient une xénophobie multiforme qui se marque par la protection du marché national de l’emploi et l’interdiction de certaines professions (artisans et commerçants) aux étrangers. Le Président du Conseil Camille Chautemps déclare en janvier 1934 : « La France veut bien être une voie de triage, mais pas une voie de garage ». Dès 1934 des exilés en provenance d’Allemagne sont renvoyés dans leur pays d’origine.

Le Front populaire en 1936 établit pour la première fois une distinction entre immigré économique et réfugié, le second - à l’inverse du premier - ayant accès sans limite au marché du travail et ne pouvant être expulsé vers son pays origine. La Convention de Genève de 1933 est ratifiée en 1936 par la France mais avec des restrictions (loi de 1932 sur la protection du travail national).

Les égoïsmes nationaux entrainent la fermeture progressive des frontières alors que les annexions territoriales se multiplient, augmentant le flot des réfugiés.

Le décret loi du 2 mai 1938 assigne les exilés à résidence. Loi de 1927 avait porté de trois à cinq ans le délai avant la naturalisation complète (avec exclusion du droit de vote) .

Depuis les années 1930 de nombreuses associations viennent en aide aux réfugiés russes, arméniens, autrichiens juifs et espagnols dans les milieux chrétiens et/ou politiques essentiellement (le PCF pour les réfugiés espagnols à partir de 1936, la Ligue internationale contre l’antisémitisme, la Ligue des droits de l'homme). En 1938 une conférence internationale pour le droit d’asile légitime « la crainte de la persécution », ce qui évite la tactique du « coup par coup » employée jusque là. La CIMADE est créée en 1939. À cette date il y aurait 550 000 réfugiés (dont 350 000 Espagnols).

IV- Après la Seconde Guerre mondiale : droit d’asile et code de la nationalité

La fin de la deuxième guerre mondiale provoque un tournant dans le droit d’asile : 30 millions de personnes déplacées.

L'ONU fonde en décembre 1946 et l'organisation internationale des réfugiés est créée par l’ONU en décembre 1946 ainsi qu’en 1950 un Haut Commissariat aux réfugiés qui gère le transport de deux millions de personnes déplacées en Europe.

Alors que l'URSS et les pays d’Europe de l’Est refusent d’accorder le statut de réfugié à ceux qui s’opposent à leur gouvernement, les Britanniques ont une conception plus universaliste des réfugiés. Les non-européens (juifs d’Afrique du nord, asiatiques), des personnes déplacées « rapatriables » (position de l’URSS et de la France), les « collaborateurs » et les « criminels de guerre », les Allemands (sauf les juifs) sont privés de la protection de l’Organisation internationale des réfugiés. Un noyau résiduel de réfugiés a été parqué pendant 10-15 ans dans des camps après la Seconde Guerre mondiale (200 000 en 1949).

La Convention internationale de 1951 est ratifiée par la France en 1954 avec des restrictions (limitée aux Européens, avant 1951 et réfugiés soumis au droit des étrangers). La France s’oppose à toute extension de la protection internationale… jusqu’à l’indépendance de ses colonies au moins ! C’est seulement par le protocole de New York de janvier 1967, publié en avril 1971 que toutes les restrictions de date et de lieu d’origine sont levées, mais avec une qualification individuelle des ayant droits dite « procédure d’éligibilité »

La gestion des demandes est prise en main par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides OFPRA (25 juillet 1952) et la Commission des recours des réfugiés créés à cet effet. De plus en plus s'installe un contrôle policier pour débusquer les « faux réfugiés » : ce sont les Renseignements généraux qui s’occupent des Espagnols en en refoulant un certain nombre (1/4 des 11 000 en 1949 non reconnus comme réfugiés) ou en les assignant à résidence en Corse ou en Algérie (pour les militants). Progressivement par le contrôle bureaucratique, tout est fait pour éliminer les demandes qui ne s’inscrivent pas dans la forme prévue par la loi. Le demandeur d’asile doit faire la preuve écrite de sa persécution ; les demandes mal rédigées en français sont refusées. Il faut pouvoir administrer la preuve des persécutions.

Pour l’immigration, le Code de la nationalité française du 19 X 1945 et une seconde ordonnance sur les conditions d’entrée et de séjour des étrangers le 2 XI 1945 mettent en place une législation unique ; mais subsiste une continuité administrative avec le gouvernement de Vichy par le personnel et les pratiques, due en partie à l'influence de Georges Mauco, défenseur d’une hiérarchie des ethnies dites « assimilables ». Dans la hiérarchie des groupes dit « assimilables », l’immigration italienne occupe la seconde place derrière l’immigration nordique (pas tous les Italiens, les Italiens du nord, ceux du sud sont envoyés d’abord dans les mines, alors que les Algériens qui ont le droit comme Français de se déplacer librement sont stigmatisés). De plus on cible une immigration familiale et on favorise le regroupement familial des familles italiennes dès 1947, d’où les allocations familiales données aussi aux familles étrangères (mais pas aux familles restées en Algérie dont le père travaille dans l’hexagone, car venant de « départements français »). Les deux piliers de la politique migratoire sont donc assimilationisme et familialisme. Le conflit entre une conception ethnocentrée et une vision égalitaire traverse l'histoire de la mise en oeuvre de la politique française de l'immigration (selon les responsables et les individus)

Au plan intérieur, la protection du travail national mise en place dès la fin du XIXe siècle, approfondie sous Vichy est poursuivie à la Libération (malgré l’opposition du patronat qui veut se servir des immigrés choisis comme d’un « volant d’ajustement ». (ex statut général des fonctionnaires de 1946, mais aussi médecins, dentistes, infirmières, magistrats). Pour les étrangers on établit une distinction aussi entre résident temporaire (un an), résident ordinaire (trois ans) et résident privilégié (dix ans). Un Office national de l’immigration est est créé, Il a le monopole du recrutement des étrangers et de leur famille avec un contrat de travail, et est financé par le montant de la redevance payée par les immigrés et les entreprises. Entre 1945 et 1975 le nombre d’étrangers a été doublé : 3,4 millions en 1975 (première nationalité les Portugais, puis les Algériens). L’État français organise l’immigration entre 1945 et 1973 puis après 1974 ferme les frontières.

Après la deuxième guerre mondiale, persiste la contradiction héritée de la Révolution Française, entre respect des « droits de l’homme » et défense des intérêts des citoyens et de la nation.

V- Le tournant de 1974 et les débats des années post 1981

Le code de la nationalité est toujours en vigueur mais des décrets et circulaires modifient la donne comme celle de 1974 qui suspend l’immigration (à l’exception du regroupement des familles).

La lecture des statistiques après juillet 1974 montre que la catégorie la plus touchée par la décision de l’arrêt est celle des travailleurs non qualifiés n’appartenant pas une à nationalité d’un État membre de l'Union Européenne ; leur nombre est passé de 132 000 en 1973, ensuite à environ 25 000 vingt ans plus tard. Il faut aller contre l’idée reçue et partagée de l'augmentation des flux de l’immigration familiale après 1974 ; elle était avant 1974 comprise entre 75 000 à 85 000 personnes par an. Les chiffres furent ensuite de 56 000 en 1975, et 49 000 en 1980. Dix ans plus tard 35 000 personnes entrent chaque année.

Restent les demandeurs d’asile: leur nombre a augmenté de quelques milliers en 1974 à 60 000 en 1989. Mais constatons la relative efficacité de l’État français à faire diminuer ces chiffres : entre 1989 et 1993 le nombre de demandes asile est passé de 60 000 à 28 000. Le nombre d’étrangers autorisés à s’installer en France a été divisé par trois. (300 000 par an au début des années 1970 à 100 000 en 1988).

Le FAS (Fonds d’action sociale pour les travailleurs émigrés et leur famille) créé en 1958 et la SONACOTRA (Société nationale de construction de logements de travailleurs immigrés) ont été conçus au départ pour favoriser le maintien en Algérie des familles des ouvriers venus travailler en métropole. Mais on comprend bien alors que pour ceux qui fondaient le droit à l’immigration familiale sur des exigences d’origine nationale, la poursuite après l'arrêt de l'immigration de travailleurs en 1974 d’une immigration de familles aux origines indésirables ait pu apparaître comme un effet pervers.

Les ordinateurs sont plus efficaces que les contrôles physiques aux frontières. Le ralentissement de l’activité économique en 1971, provoque début 1972 la circulaire Marcellin (24 janvier, ministre de l’Intérieur) et la circulaire Fontanet (23 février, ministre duTravail) avec, en préfecture, un «guichet unique» carte de travail et carte de séjour. Puis en 1975 trois cartes : A – carte temporaire de travail valable 1 an ; B - carte ordinaire valable trois ans; C - carte de dix ans. .La «carrière de papier» désigne l’ensemble des statuts acquis par l’étranger au cours de son séjour. Elle relève d’une redéfinition permanente du statut de l’étranger au cours du temps, déterminée par les décisions de l’administration et par les changements de stratégie individuelle qu’elles ont suscités.

Apparaît ici la figure du « clandestin », le nombre de régularisations s’effondrant et la régularisation devenant exceptionnelle. La police de l’air et des frontières se concentre sur l’immigration et vérifie soigneusement ceux venus d’Afrique qui se présentent comme « étudiants ». De la loi Bonnet en 1980 (politique du retour) à la loi Sarkozy de 2003, le code de la nationalité de 1945 a été modifié plus de vingt fois, montrant que c’est le pouvoir politique et moins l’administration qui est le centre de gravité de la politique d’immigration et d’accueil.

Font exception à la maîtrise des flux les demandeurs d’asile, les réfugiés, conjoints de Français et travailleurs très qualifiés avec certaines nationalités d’Asie (lien avec la fin de la guerre du Vietnam en 1875). Le débat se focalise sur les « faux réfugiés » qui ne seraient pas victimes des persécutions politiques. Le nombre des réfugiés accueillis chaque année n’a cessé de régresser sous le second septennat de Mitterrand : 9 000 en 1988, 3 200 en 1995 (nécessité de fournir « les preuves irréfutables des sévices »). Cependant la loi du 17 juillet 1984 entérine la promesse de Mitterrand de décembre 1983 après la Marche de l’égalité contre le racisme. Elle supprime la double carte séjour/travail et institue une carte de dix ans qui donne l’autorisation d’exercer la profession de son choix sans autorisation. Elle fait une séparation nette entre les immigrés installés qu’on doit intégrer et les étrangers en situation irrégulière qui doivent être éloignés du territoire.

La politisation de l’immigration est venue aussi des luttes des immigrés eux-mêmes, des associations comme le GISTI qui engagent des contentieux juridiques, de la médiatisation aussi des questions d’immigration

Une première depuis 1889, avec les Lois Pasqua, dont celle de 1993 qui a joué un rôle important pour les jeunes qui n’acquièrent plus automatiquement la nationalité française à leur majorité ( limitation du jus soli. ). Ils sont soumis à une déclaration préalable indispensable entre 16 et 18 ans et ne doivent pas avoir quitté le territoire plus d’un an. Cette loi a été supprimée par la loi Guigou du 16 mars 1998.

Un mouvement des sans-papiers se développe en 1996, soutenus par un certain nombre de cinéastes et d’intellectuels. Un livre collectif en 1997 dont le titre est éloquent : Les lois de l’inhospitalité : les politiques de l’immigration à l’épreuve des sans-papiers.

Les Trente dernières années : le changement

Avec la fin de l’immigration traditionnelle d’Italie, d’Espagne ou du Portugal, l’immigration est devenue extra-européenne et très liée aux anciennes colonies (Maghreb, Afrique subsaharienne francophone, Indochine). Les migrants venus du Maghreb sont particulièrement discriminés dans une xénophobie ambiante en hausse dans les années 1980 (succès électoraux du Front national à partir de 1983 et reprise dans le langage commun des éléments de son programme), parallèlement au développement d’un chômage de masse. Un rejet spécifique concerne les Algériens pour « un passé qui ne passe pas ».

Mais aussi des éléments plus généraux,

  • la mondialisation de la culture (rôle des médias de masse) ;
  • la globalisation de l’économie et la diminution du rôle des frontières, mais parallèlement de nouvelles frontières administratives et policières, comme celles de la Communauté européenne (espace Schengen) ;
  • l'affaiblissement de l’échelon national au profit de l’Europe avec pour conséquences un repli national, et un rejet des exilés, des proscrits, des sans-papiers ;
  • la transformation des valeurs traditionnelles et des rapports de couple (le mariage, le divorce) ;
  • l’exaltation de l’identité nationale par différents gouvernements,

entraînent des crispations identitaires et religieuses face à ces profondes mutations.

Michelle Zancarini-Fournel, historienne.

Intervention du 5 novembre 2015, à Lyon, mairie du 1er arrondissement

Conférence – débat « La réforme du droit des étrangers : quels droits pour les migrants ?»

Bibliographie indicative :

Richard Ayoun, Les Juifs de France. De l’émancipation à m’intégration (1787-1812), L’Harmattan, 1997.

Laurent Dornel, La France hostile. Socio-histoire de la xénophobie (1870-1914), Hachette, 2004.

Yves Lequin (dir.), La mosaïque France. Histoire des étrangers et de l’immigration, Larousse, 1988, (2ème édition en poche).

Gérard Noiriel, Réfugiés et sans papiers. La République face au droit d’asile (XIXe-XXe siècle),Hachette, Pluriel, 1998.

Alexis Spire, Étrangers à la carte. L’administration de l’immigration de 1945 à 1975, Grasset, 2005.

Vincent Viet, Histoire des Français venus d’ailleurs de 1859 à nos jours, Perrin, Tempus, 2004.

Patrick Weil, La France et ses étrangers. Politique de l’immigration de 1938 à nos jours, Gallimard, Folio, 1991.